Chronique Ecadienne #4 - Janvier 2005

Partenariats public-privé:
Un chemin semé d'ebmûches 

Renaud Bellais

 

Les partenariats public-privé et, de manière générale, les financements innovants transforment la gestion des investissements publics(1). Ces nouveaux outils financiers constituent un moyen pour accroître la satisfaction des besoins collectifs sans obérer les finances publiques. Pourtant, les expériences dans ce domaine restent à valider pour ce qui concerne les activités de défense. Le chemin semble être semé de nombreuses embûches. En effet, les caractéristiques de la défense semblent rendre l'application des PPP complexe de même que l'absence de pratique dans un secteur habitué à une logique patrimoniale. En France, la délégation générale pour l'armement en est encore aux balbutiements du recours aux PPP. Les besoins d'investissements (croissants) suscitent néanmoins un intérêt de plus en plus marqué pour une analyse des premières expériences de PPP signés par d'autres pays, en particulier le Royaume-Uni. Par ailleurs, Michèle Alliot-Marie a clairement affirmé qu'elle souhaitait faire de la Défense un ministère-pilote dans l'application des PPP(2). Encore faut-il que les acteurs (en particulier publics) prennent la mesure des changements de pratiques et de comportements qu'impliquent les PPP et qu'ils soient capables de mettre en place les conditions nécessaires à la réussite de ce mode de contractualisation. La volonté d'appliquer les PPP aux frégates multi-missions (FREMM) a montré la nécessité de ne pas se précipiter, ni de vouloir à tout prix appliquer ce type de contrats à tout programme rencontrant des contraintes de financement. Où en sommes-nous dans l'application des PPP à la Défense ?

Un effet de levier sur l'investissement public

Les PPP sont un moyen d'accélérer la mise en oeuvre de certains programmes d'investissement public en dépit de contraintes budgétaires fortes. De fait, les choix actuels de finances publiques en Europe engendrent une tension importante entre la nécessité de renouveler (ou de développer) les équipements collectifs et la nécessité de maîtriser les dépenses des États. Face à la nécessité d'assurer les dépenses courantes (notamment les salaires), il est très tentant pour les décideurs d'utiliser les dépenses d'investissement comme variable d'ajustement budgétaire.

Or la Défense est le premier ministère par ses crédits d'investissement, puisqu'elle absorbe à peu près la moitié des titres V et VI de l'État(3) en France. La contrainte est donc forte et la recherche de solutions innovantes constitue un impératif presque catégorique. Alors que la Défense doit gérer – à coûts croissants – des équipements vieillissants ou repousser de nécessaires investissements, les PPP offrent une solution économiquement et opérationnellement plus efficace, réduisant in fine les coûts pour l'utilisateur tout en allégeant les besoins en crédits d'investissement à court terme.

En insistant sur la fourniture de services de préférence à l'acquisition de plateformes (avions, navires,…) ou d'infrastructures (immeubles, centres de formation,…), les PPP concourent à une conception modernisée de la dépense publique, dans la droite ligne de la LOLF (loi organique portant lois de finances de 2001). Il ne s'agit plus tant de comptabiliser des moyens mis en oeuvre que de constater leur cohérence pour fournir une réponse satisfaisante à un besoin de la puissance publique.

Outre cet effet de levier possible sur les dépenses publiques, un autre intérêt des PPP est de faciliter le transfert des risques (émergeant lors du processus d’acquisition) sur la partie qui est la plus à même de les supporter. Différents critères sont d'ailleurs envisageables(4).

Vers une optimisation des capacités

Les PPP permettent aussi une utilisation optimisée des immobilisations en capital dans la mesure où celles-ci sont gérées par l'offre (les entreprises) et non plus par la demande (l'État). La principale difficulté dans l'approche patrimoniale est en effet qu'il n'y a pas nécessaire convergence entre la possession d'un équipement et son utilisation.

Les équipements publics sont souvent sous-utilisés, car les autres utilisateurs envisageables que l'administration qui les possèdent n'ont pas accès à ces équipements. Le principe qui fonde traditionnellement les choix du ministère de la Défense en matière d'investissement est celui du contrôle d'un système ou d'une infrastructure par la propriété, non celui de sa valorisation économique. A l'inverse, les PPP supposent une gestion par les fournisseurs, qui peuvent alors établir une stratégie de gestion d'accès aux équipements qui maximise les revenus qu'ils en tirent tout en garantissant un accès privilégié à un client de référence.

C'est bien là le cœur de la rupture qu'introduisent les PPP dans le modèle économique des équipements publics : transférer à l'offre la maîtrise des équipements pour en optimiser leur valeur économique et réduire les coûts fixes totaux supporté par le client de référence sur la durée de vie desdits équipements (ce qui ne va pas d'ailleurs sans poser des restrictions quant aux champs d’application des PPP dans le secteur de la défense).

Ainsi, dans le cas des PPP britanniques (en particulier de la "Private Finance Initiative"), le ministère de la Défense insiste systématiquement sur la nécessité de répartir la charge des investissements et de leurs coûts d'usage sur d'autres clients, publics comme privés. La notion de "Third Party revenues" (revenus tirés d'utilisateurs tiers) débouche très souvent sur la nécessité de développer un modèle économique innovant au-delà des approches purement patrimoniales. Les PPP permettent de répartir les risques non seulement liés à la fourniture du système/matériel mais aussi ceux liés à l’utilisation de ces systèmes.

Une montée en puissance dans la défense en Europe

Ainsi EADS Space s'est vu attribuer par le ministère britannique de la Défense (MoD) au travers de sa filiale à 100% Paradigm, le programme d'infrastructure de communications sécurisées par satellite Skynet. Ce contrat en PPP est d'une durée de quatorze ans (2005-2018) et d'une valeur globale de 2,5 milliards de livres sterling. Paradigm a repris d'exploitation de la constellation existante Skynet 4 et doit mettre en place la nouvelle constellation Skynet 5 qui lui succèdera à partir de 2007.

Le ministère britannique de la Défense (MoD) n'a pas besoin de la totalité des capacités de Skynet. Les capacités excédentaires seront proposées à d'autres pays. Paradigm a ainsi gagné un contrat évalué à 100 millions de livres auprès du MoD pour couvrir la contribution britannique à un programme franco-italo-britannique de communications par satellite dans le cadre de l'OTAN sur la période 2005-2019. D'autres contrats ont été remportés, notamment auprès des forces armées portugaises.

Toujours au Royaume-Uni, le consortium AirTanker est aujourd'hui le seul candidat en lice pour fournir à la Royal Air Force les avions ravitailleurs du programme FSTA. Le MoD n'achètera plus d'avions, mais des heures de ravitaillement en vol. Les services fournis s'étendront sur vingt-sept ans pour une valeur globale de 13 milliards de livres. Une partie des avions ravitailleurs sera laissée à la disposition d'AirTanker par le MoD lorsque ce dernier n'aura pas besoin de ces capacités(5), à charge pour AirTanker de trouver des utilisateurs pour ces capacités disponibles.

Un montage similaire pourrait éventuellement être envisagé pour le programme français d'avions ravitailleurs MRTT. D'autres projets sont en gestation en France dans le domaine de la formation. Par exemple, les écoles de formation des pilotes de Dax (ALAT(6)) ou de Cognac (Armée de l'Air) pourraient éventuellement être élargies aux pilotes d'autres pays pour réduire le prix de revient de l'heure pour le client français par un élargissement de la base des facturations tout en améliorant la rentabilité de ce projet pour les partenaires privés.

Entraves en France des modes de comparaison public-privé

Les PPP ouvrent la voie à des opportunités d'optimisation des finances publiques et d'accroissement du retour social sur investissements des équipements collectifs. Le recours aux contrats de ce type se heurte toutefois en France à un problème de mise en œuvre, car les PPP introduisent une rupture dans les pratiques de beaucoup d'administrations – à l'exception de celles qui ont une longue tradition de contrats de longue durée avec le secteur privé (eau, infrastructures routières,…).

En effet, la logique du recours aux PPP implique de comparer les solutions publiques et privées au moyen d'un "Public Sector Comparator" pour établir que la contractualisation est plus efficace que la poursuite d'une production réalisée par l'administration elle-même. Cette démarche suppose une neutralité du régime fiscal pour éviter de biaiser la comparaison des offres. Cette neutralité doit en outre concerner tous les volets de la prestation : conception, investissement, exploitation,...

Toutefois l'approche des PPP qui se met en place depuis trois ans en France ne permet pas d'atteindre un niveau d'équité suffisant. Le nouveau cadre juridique des contrats de partenariat n'intègre pas les différences de calcul économiques entre les entreprises et les administrations. Du fait des règles de la comptabilité publique et de la difficile réconciliation de ce format comptable avec les règles privées, les administrations sous-évaluent le coût réel de leurs prestations.

Est-il ainsi équitable que les offres industrielles intègrent un taux de TVA de 19,6% quand les services de l'État établissent leurs offres sans devoir prendre en compte ce paramètre ? De même, comment ne pas s'étonner que les administrations n'aient recours à aucune notion d'amortissement de leurs investissements ? Ces deux éléments soulignent la difficulté d'une comparaison des offres qui jouent à la défaveur des propositions industrielles.

Ces éléments sont d’autant plus étonnants que ces pratiques fiscales ne sont pas observées dans d’autres pays. Au Royaume-Uni en particulier, les partenaires privés paient la TVA mais l'impact de celle-ci est neutralisé dans le processus de comparaison des offres avec les propositions émanant du secteur public. En effet, le ministère des britannique des Finances considère que les taxes associées à un contrat de PPP retournent in fine à l'État, ce qui constitue une opération nulle d'un point de vue d'ensemble. Ceci évite par ailleurs toute distorsion dans la comparaison des offres(7).

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Les errements rencontrés sur le financement des FREMM montrent que les échecs dans l'application des PPP résultent souvent d'une mauvaise appréhension de ce que doivent être les financements innovants. Il ne faut pas en surestimer les mérites, ni chercher à les appliquer à tout prix.

Enfin les processus de contractualisation des PPP doivent aboutir ! Les interminables délais de lancement des projets et parfois le changement de "Preferred Bidder" (comme pour le programme Herkules en Allemagne) constituent de fortes barrières à l'entrée pour les partenaires du secteur privé dans la défense. Ainsi près de dix ans se sont écoulés depuis le lancement du projet FSTA et l'annonce du "Preferred Bidder" se fait toujours attendre.

Si l'État français souhaite tirer profit des PPP dans la Défense, il est important de trouver un modus operandi efficace, fondé sur un dialogue État-Industrie. Les PPP constituent une formule innovante de dépense publique. Il est crucial d'utiliser ces outils de manière pragmatique et adaptative, au risque sinon de sonner le glas des financements innovants dont les pouvoirs publics ont tant besoin pour assurer leur effort d'équipement.

Renaud Bellais

 

(1) Voir les chapitres 2 et 3 de l'ouvrage Économie et Défense, Nouvelles frontières entre États et marchés (coordonné par Renaud Bellais), Paris, éditions Descartes et Cie, 2004.

(2) M. Alliot-Marie a obtenu de Bercy en janvier 2005 la création d'un organisme expert chargé de l'évaluation des PPP au sein de son Ministère, avec la possibilité de se positionner comme prestataire de services pour les autres Ministères (La Tribune, 9 février 2005).

(3) Dans la nomenclature du budget de l'État, le titre V se compose des crédits d'équipements, le titre VI des subventions. Dans le projet de loi de finance pour 2005, les titres V et VI du ministère de la Défense représentent 15,2 milliards d'euros (en crédits de paiement) sur un total de 32 milliards pour l'ensemble de l'État, soit 47,5%.

(4) Merci à Jean-Michel Oudot pour cette précision, sur laquelle ECADES ne manquera pas de revenir dans une prochaine Chronique écadienne.

(5) Le principe du programme FSTA est de disposer d'une réserve de capacités rapidement et facilement mobilisables en période de crise, sans que le MoD ne supporte un coût élevé pour la possession d'avions inemployés une très grande partie de leur durée de vie. Ce PPP se fonde sur la modularité desdits avions, ce qui permet de les affecter à des usages civils ou militaires alternatifs, générant ainsi des revenus additionnels.

(6) L'Armée de Terre envisage la signature d'un PPP pour l'École de Dax en 2007.

(7) En Allemagne, les premiers processus de contractualisation en PPP arrivent à terme, mais nous ne savons pas encore comment ce problème de TVA va être traité. Il est de ce fait possible de craindre des distorsions similaires à celles auxquelles les industriels français se heurtent.